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Discriminations, racisme, xénophobie en Europe : état des lieux
Publié le samedi 28 juillet 2007

Nous reproduisons ici un article tel qu’il est paru dans le bulletin trimestriel de l’Association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, dont la création fut décidée dès 1993 par les Etats membres, s’assigne pour mission de combattre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance au niveau de l’Europe ; elle est, depuis 2002, une instance indépendante et dotée de moyens propres. Elle a rendu public, en mai dernier, un rapport annuel, qui résume ses observations et recommandations à l’égard des discriminations et préjugés auxquels sont confrontés des personnes ou groupes de personnes, notamment au motif de la "race », la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique.

Dans ce rapport, sans doute hélas diffusé trop confidentiellement, elle estime que "la situation d’ensemble concernant les formes contemporaines de racisme et de discrimination raciale est complexe et inquiétante" et souligne que "des phénomènes virulents de racisme et d’intolérance peuvent être observés dans les Etats membres". Elle s’inquiète en particulier du "climat d’hostilité envers les personnes qui sont ou sont perçues comme étant musulmanes et regrette les manifestations d’islamophobie qui peuvent être constatées". Elle continue, toutefois, "d’être préoccupée par les phénomènes d’antisémitisme, de plus en plus répandus dans de nombreux pays européens" et déplore "les violations des droits de l’homme dont souffrent les Roms, Tziganes, Gens du Voyage, qui forment une cible particulière du racisme dans toute l’Europe", ainsi que "le racisme anti-Noir encore très présent dans de nombreux pays européens".

Cette Commission européenne contre le racisme et l’intolérance se montre très critique à l’égard de certains médias et aussi à l’égard de l’utilisation d’arguments racistes et xénophobes dans le discours politique : "Actuellement, les discours xénophobes vivent leurs beaux jours dans les pays où le passage à une société multiculturelle suscite des peurs qui rencontrent un écho, dans un contexte de crise économique et de mondialisation, posant, pour beaucoup de citoyens, la question de l’identité nationale. Et là encore, ce sont les groupes minoritaires et les différentes communautés qui sont visés, y compris par les partis politiques traditionnels de nombreux pays". "Les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile sont particulièrement touchés", ajoute-t-elle : "Sur le sujet de l’immigration, le ton du débat politique s’est non seulement considérablement durci, mais il a aussi tendance à stigmatiser des communautés entières, notamment les étrangers. Ces derniers sont présentés comme responsables de la détérioration des conditions de sécurité, du chômage et de l’augmentation des dépenses publiques. Ce processus de stigmatisation fait le lit du racisme et de la discrimination raciale envers cette partie de la population en Europe". Elle estime également que la lutte contre le terrorisme n’a pas été sans entraîner, "dans certains cas", l’adoption de législations directement ou indirectement discriminatoires ainsi que des pratiques discriminatoires de la part des pouvoirs publics.

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance souligne cependant le caractère banalement quotidien des discriminations : "Malgré les avancées législatives et sur le plan des politiques, beaucoup de personnes continuent de subir la discrimination dans des domaines importants, tels que l’emploi, l’éducation, le logement, la santé, etc." Elle réaffirme donc qu’il ne "suffit pas de déclarer la discrimination illégale. Il faut aussi lutter contre elle dans la pratique. Une intégration réussie est un processus à double sens, un processus de reconnaissance mutuelle, qui n’a rien à voir avec l’assimilation. Plutôt que d’utiliser le terme d’« intégration », elle préfère parler d’une "société intégrée".

Elle tient à souligner cependant que "les grandes tendances ne sont pas toutes négatives, et qu’il y a aussi des signes encourageants, aux niveaux international, européen et national, démontrant l’engagement des Etats membres et de la société civile dans la lutte contre le racisme et l’intolérance". Elle préconise d’éviter le danger d’une "fragmentation" de la lutte contre le racisme et plaide pour "une approche commune et une stratégie de lutte contre le racisme qui soit globale, collective et solidaire". Elle se réjouit "vivement" de l’entrée en vigueur du Protocole 12 à la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui renforce la prohibition des discriminations, félicite les Etats qui l’ont ratifié, appelle les Etats qui l’ont signé à le ratifier au plus tôt et demande aux Etats ne l’ayant encore ni signé, ni ratifié (parmi lesquels la France) de le faire rapidement. Rappelons que cette Convention, en vigueur depuis 1953, se réfère explicitement à la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948.

En France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) remet, depuis seize ans, chaque année, un rapport sur la lutte contre le racisme. Son dernier rapport, basé sur les observations réunies au cours de l’année 2006, "ne peut pas être un miroir exact et exhaustif de la réalité, il a simplement pour vocation de dessiner les grandes tendances". Et de souligner que les seules statistiques ne sont en effet pas à même de rendre compte avec exactitude de la réalité des actes racistes, xénophobes et antisémites, que toutes les victimes ne se signalent pas et qu’il reste une "zone grise" inconnue. D’autre part, ces chiffres ne prennent pas en compte les discriminations raciales "quotidiennes", notamment dans l’emploi et le logement, qui relèvent désormais de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). La CNCDH rappelle que l’année 2005 avait été caractérisée par une diminution globale importante des actes à caractère raciste et antisémite portés à la connaissance des autorités. Paradoxalement, cette baisse de la violence s’accompagnait d’une augmentation inquiétante du pourcentage de personnes qui s’avouaient racistes, d’une radicalisation des opinions hostiles aux étrangers et d’un essoufflement dans la mobilisation contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.

La CNCDH constate que l’année 2006 a été marquée par quelques événements médiatisés : la mort, en février, du jeune Han Halimi, kidnappé et torturé par le "gang des Barbares" ; la violente descente des membres de la Tribu Ka dans la rue des Rosiers à Paris (et la dissolution du groupuscule), le procès en Cour d’assises d’Annecy des incendiaires des mosquées de Haute-Savoie en 2004, la mort d’un jeune supporter du Paris-Saint-Germain. Dans ce contexte médiatique important, les chiffres témoignent d’une certaine stabilité, voire d’une diminution des actes à caractère raciste, xénophobe et antisémite. Si la CNCDH "se félicite de la poursuite de la baisse globale des chiffres du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme er France" - baisse particulièrement significative à l’école : les actes à caractère raciste ou antisémite ne représentent que 2% de la violence scolaire - certains éléments ne manquent pas de retenir son attention : le nombre global de violences et menaces à caractère raciste, xénophobe et antisémite reste élevé par rapport à celui de la période des années 1995-1999 ; l’antisémitisme connaît une hausse de 6 % mais surtout les violences recensées on un caractère de gravité accru et touchent de plus en plu les personnes physiques.

Par ailleurs, la CNCDH s’inquiète du fait que, dans u contexte toujours marqué par de fortes préoccupations économiques et sociales, "les immigrés et les étranger restent souvent stigmatisés". Les personnes d’origine maghrébine sont les plus touchées, à la fois par les acte racistes (66% de la violence raciste sont dirigées contre la communauté maghrébine) et les menaces racistes (69 % du volume global des menaces racistes). "Malgré une légère décrispation des attitudes à l’égard de l’Autre, on constate toujours une certaine dénonciation des immigrés, soupçonnés de ne pas vouloir réellement s’intégrer à la société française. Ce climat de xénophobie latente, qui n’apparaît pas dans les statistiques concernant les faits, est inquiétant en ce qu’il révèle des problèmes endémiques d’inégalités et de discriminations, que les mesures mises en œuvre par les autorités, au cours de l’année 2006, à la suite des violences urbaines de novembre 2005, ne sont pas encore parvenues à résorber. Les efforts entrepris au cours de cette année pour développer la diversité et l’égalité des chances vont dans le bon sens, mais ils doivent être poursuivis et renforcés dans les années à venir afin de lutter efficacement contre le racisme et la xénophobie et pour promouvoir le respect et la tolérance".

Le bilan de l’année 2006 en termes de racisme, de xénophobie et d’antisémitisme est donc très nuancé : si certains chiffres sont porteurs d’espoir (baisse des actions et menaces), si la mobilisation des autorités et des associations porte ses fruits, l’examen attentif des données statistiques nous rappelle que le combat est loin d’être gagné, comme en témoigne la hausse de 9% des violences à l’égard des personnes physiques. La CNCDH incite donc le gouvernement à poursuivre les efforts entamés, à renforcer les mesures de lutte et à développer la prévention -en favorisant la formation des acteurs de terrain et en favorisant l’éducation aux droits de l’homme - afin de combattre efficacement "la bête immonde". Elle recommande à ce titre l’affichage d’une volonté politique forte et ciblée et déplore que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme soit bien souvent "diluée" dans des mesures de lutte contre la violence en général. La lutte contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme, doit faire l’objet d’une politique spécifique et concertée.

La CNCDH étudie la réponse sociale et judiciaire aux actes racistes à partir des données fournies par la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), qui rend compte de l’activité des juridictions pénales mais pas de celle des juridictions civiles ou administratives qui connaissent pourtant nombre d’affaires de racisme, par le biais des discriminations notamment, ce qu’elle "regrette". Sans entrer dans des détails techniques, on notera que, s’agissant des mineurs ou de jeunes majeurs, les procédures alternatives aux poursuites ayant une vocation principalement pédagogique sont utilisées de manière importante (28,9% des affaires ont donné lieu à ces procédures en 2006). Mais si cette répression est indispensable, "une lutte efficace contre ces phénomènes doit essentiellement se faire en amont. Il s’agit avant tout de prévenir, en développant la formation des acteurs de terrain, en favorisant l’éducation et l’enseignement nécessaires".

Chaque année depuis 1991, la CNCDH renouvelle un sondage sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie afin de mesurer les évolutions dans les perceptions des phénomènes, par l’opinion publique. Si l’année 2005 témoignait d’une "forte affirmation de l’opinion raciste et d’une poussée de l’ethnocentrisme", en 2006 les chiffres sont à la baisse et on retrouve des comportements et des attitudes comparables à ceux de 2004, même si les préjugés et la méfiance à l’égard des immigrés restent forts. Alors que les préoccupations économiques et sécuritaires persistent, "tout se passe comme si les personnes interrogées adhéraient aux valeurs républicaines de tolérance et d’universalisme d’un point de vue formel, mais que d’un point de vue concret, certaines concessions devraient être apportées à ce pacte républicain, notamment parce que les étrangers et les immigrés ne « jouent pas pleinement le jeu » de l’intégration à la société française".

La CNCDH achève son constat par une série de recommandations : elle "déplore" que le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ne se soit pas réuni depuis janvier 2005 et regrette que la France n’ait toujours pas mis en œuvre le plan d’action national conformément à la déclaration finale de la Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance. Au total, si les autorités font preuve d’un réel engagement, les actions lui semblent "trop dispersées". Enfin, elle souligne le rôle fondamental des associations et des syndicats et, "a contrario", les effets dommageables de toute diminution de l’aide qu’elles sont en droit d’attendre"…

D.B.

France : raid raciste dans la paisible bourgade de 500 âmes de Villers-au-Bois. La maison d’un médecin et de son épouse, tous deux d’origine béninoise, a été attaquée à coups de cocktails Molotov. Ceux-ci n’ont heureusement pas explosé : mais l’intention était ouvertement criminelle, les auteurs ayant pris soin de cadenasser la grille d’accès. La façade de la maison avait été taguée de graffitis en allemand et en français. Sale négro » pouvait-on lire, entre autres. Cet acte raciste n’est pas sans précédent dans ce village : en 2000, la maison en cours de construction d’un couple polono-marocain avait été incendiée ; en 2004, deux tombes juives avaient été profanées. Ceci est la face visible d’un racisme persistant, aux cibles multiples, à combattre dans sa globalité.