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350 000 anciens d’Algérie souffrent de troubles psychiques liés à la guerre
Publié le mercredi 8 mars 2006, mis à jour le jeudi 9 mars 2006
MEMOIRE

D’après un article du Monde, 350 000 anciens d’Algérie souffriraient de troubles psychiques liés à la guerre.

Cette estimation repose sur un parallèle avec des études américaines sur la guerre du Vietnam. Elle est confirmée par plusieurs psychiatres. Crises d’angoisse, cauchemars : un vétéran sur quatre revit, quarante ans après, les exactions vues, subies ou commises

La souffrance psychique des 1,7 million de Français ayant servi en Algérie entre 1954 et 1962 n’a jamais fait l’objet d’une étude officielle. Selon plusieurs experts, 350 000 d’entre eux souffriraient de troubles. CETTE ESTIMATION repose sur un parallèle avec des travaux américains sur la guerre du Vietnam. INSOMNIES, cauchemars à répétition comptent parmi les symptômes les plus fréquents. LA RECONNAISSANCE du drame des appelés apparaît comme le passage obligé vers la guérison de ces « blessés de l’âme ». ALICE CHERKI, psychanalyste, explique pourquoi l’oubli n’est pas une solution ; elle souligne le rôle de la parole aussi bien pour les anciens tortionnaires que pour leurs victimes. BERNARD GERLAND, qui fut sergent en Algérie, fait aujourd’hui du théâtre pour conjurer les fantômes de son passé.

Comment mesurer la souffrance psychique de toute une catégorie de population quand celle-ci n’a jamais fait l’objet de la moindre enquête officielle en quarante ans ? Si les blessures psychiques sont d’autant plus douloureuses à vivre qu’elles sont invisibles, celles des anciens d’Algérie le sont davantage encore par la nature même de cette guerre : une « opération de maintien de l’ordre » (ainsi nommée jusqu’en 1999), qui a tout de même fait quelque 30 000 morts côté français et entre 300 000 et 1 million (suivant les sources) côté algérien. Une guerre coloniale, souvent menée contre la conscience des soldats, et qui s’accompagnait la plupart du temps de mépris pour l’adversaire, le « bougnoule », le « bicot », ou le « fell ». Une guerre mal aimée enfin, d’où les combattants français sont rentrés sans honneur et sans gloire, dans une ambiance générale d’indifférence.

Que sont-ils devenus, ces jeunes appelés alors tout juste sortis de l’adolescence ? Comment ont-ils réintégré leur vie antérieure puis traversé ces quarante dernières années, eux et leur famille ? Nul ne le sait, pas plus le secrétariat d’Etat aux anciens combattants que l’opinion publique.> Aucune étude n’a jamais été ordonnée sur leur compte.
A croire qu’ils n’existent pas, qu’ils n’ont jamais existé.

C’est 1 700 000 Français qui ont été envoyés en Algérie entre 1954 et 1962. Les trois quarts d’entre eux, soit 1 275 000, en sont revenus sans troubles majeurs, selon l’estimation de la plupart des spécialistes. Chez un quart d’entre eux, en revanche, soit environ 350 000 hommes encore vivants aujourd’hui, ce conflit a provoqué une gamme de traumatismes psychiques se traduisant par des troubles plus ou moins invalidants, d’apparition immédiate ou tardive. Pour parvenir à cette conclusion, les experts français ont dû se baser sur les études de l’administration américaine à propos de la guerre du Vietnam, laquelle offre un certain nombre de similitudes avec celle d’Algérie. La transposition des données d’outre-Atlantique à la guerre franco-algérienne est validée par les études effectuées à échelle réduite par plusieurs spécialistes, notamment Marie-Odile Godard, psychologue, auteur d’une thèse de doctorat sur les rêves et les cauchemars dus aux situations traumatiques collectives.

  •  Sur quatorze anciens d’Algérie qu’a suivis cette clinicienne,
    • deux seulement, 14%, estiment n’avoir pas souffert de trouble majeur ou durable après leur retour. Ces deux hommes remarquent cependant que la nuit suivant chaque évocation de cette période est invariablement marquée par des insomnies et des cauchemars.
    • Huit de ces quatorze appelés, 58%, ont présenté des troubles psychiques tels qu’ils ont dû être hospitalisés, à une ou plusieurs reprises, depuis leur retour d’Algérie, y compris à des dates récentes.
    • Quant aux quatre autres, 28%, ils se sont toujours contentés de soigner leurs maux (insomnies, cauchemars à répétition, flash-back, hallucinations, crises d’angoisse, phobies, états dépressifs, idées de suicide…) avec des antidépresseurs, anxiolytiques et somnifères.

    86% des Anciens d’Algérie ont donc présenté des troubles psychiques.

    Dans l’ensemble, les troubles des uns et des autres se sont atténués avec les années, mais ils ont réapparu, plus vivaces que jamais, à l’heure de la retraite. Aucun ne fait exception à la règle, souligne Mme Godard. « Quand ces hommes cessent de travailler, ils prennent le temps de réfléchir et dressent le bilan de leur vie. C’est alors qu’ils se rendent compte de ce qu’ils auraient voulu être, raconte-t-elle. Tous le disent : « J’aurais été autre chose s’il n’y avait pas eu l’Algérie ». » Seuls avec leur souffrance, ces hommes qui avaient pensé il y a quarante ans que « ça allait passer » et qu’ils retrouveraient tôt ou tard leur personnalité « d’avant » se refusent aujourd’hui encore à consulter un psychiatre. « C’est bon pour les fous », estiment-ils. Ils gardent donc pour eux leurs cauchemars et leurs souvenirs obsédants : certaines visions d’horreur, des cris, un regard, une odeur… « On peut être gravement malade avec cela. Le rêve traumatique, par exemple, constitue un nouveau traumatisme pour celui qui l’éprouve. C’est une hallucination de l’horreur, la personne « est » à nouveau dans ce qui l’a traumatisée autrefois », insiste Marie-Odile Godard.

    Médecin généraliste dans le Finistère et conseil de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (Fnaca) dans ce département, le docteur Jean-Louis Guéguen explique que, sur dix anciens d’Algérie qui auraient nécessité un soutien psychothérapeutique, deux seulement se sont laissé convaincre. Même constat du psychiatre Bernard Sigg, célèbre pour son opposition retentissante à la guerre d’Algérie en 1960. Aujourd’hui vice-président de l’Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre (ARAC), l’auteur du livre Le Silence et la Honte (Messidor) souligne que les anciens appelés préfèrent taire leurs angoisses. « Leur principal médicament, c’est l’alcool. L’alcool pour oublier la peur. La peur, toujours la peur. Je ne cesse d’entendre ce mot. » Peur des embuscades, peur du copain qu’on risque de découvrir horriblement mutilé, le sexe coupé et placé dans la bouche, mais peur aussi des supérieurs dans une ambiance permanente de stress et d’extrême violence, si ce n’est de sadisme, en particulier de la part des DOP (détachements opérationnels de protection), ces unités chargées de pratiquer la torture de façon « professionnelle » sur les prisonniers algériens. « Les appelés redoutaient les conséquences de leur résistance ou de leur refus, surtout à l’égard de la question de la torture, souligne Mme Godard. Tous, absolument tous, ont au minimum entendu ou vu pratiquer la torture. Leur grand drame, me disent-ils aujourd’hui, c’est de n’avoir pas su dire non à l’époque. D’avoir eu vingt ans et de n’avoir pas su réagir. »


  •  Comment guérir ces « blessés de l’âme », souvent accablés par le poids de la culpabilité ou de la honte ?
    • « D’abord par la reconnaissance de leur drame », répondent deux des plus grands noms de la psychiatrie militaire, les médecins généraux Claude Barrois et Louis Crocq, auteurs d’ouvrages de référence (respectivement Les Névroses traumatiques, Dunod, et Les Traumatismes psychiques de guerre, Odile Jacob).
    • La substitution à l’expression « maintien de l’ordre » du mot « guerre », il y a deux ans, a été une première étape.
    • L’obtention - difficile - d’une pension d’invalidité est une autre forme de reconnaissance, non négligeable par son effet symbolique autant que financier, soulignent ces deux psychiatres.
    • Mais l’accès à un suivi médico-thérapeutique gratuit reste la principale revendication de ceux qui côtoient les anciens d’Algérie. L’ouverture de centres de consultations de proximité, à l’image des Vet Centers américains, moins intimidants que l’hôpital, serait une avancée majeure. « Ceux qui le veulent pourraient venir parler, de façon anonyme, au besoin avec leur famille, et accoucher de cette douleur qui les écrase depuis trop longtemps », plaide l’avocate Jacqueline Thabeault-Alcandre, spécialiste en droit des pensions militaires d’invalidité.
    • Auparavant, il faudrait qu’on ait enfin réalisé une enquête épidémiologique sur les anciens d’Algérie, réclamée depuis des années par les professeurs Barrois et Crocq, ainsi que par les associations. Qu’on affronte enfin le problème de façon scientifique, pour mieux le résoudre. « Il n’est pas trop tard, il n’est jamais trop tard, ni pour les soins ni pour mener une enquête objective », assure le professeur Crocq.
  • Le secrétaire d’Etat Jean-Pierre Masseret avait indiqué, à l’époque, que telle était son intention.

    ……. Nous attendons toujours.



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