Nous reprenons ici 3 articles parus dans le journal « l’Union » des 12, 13 et 18 mars 2008, concernant le décès du dernier Ancien Combattant de la première guerre mondiale.
![]() Ce double hommage s’est déroulé à l’Hôtel national des Invalides, haut lieu de l’histoire et de la mémoire des armées françaises.
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![]() Nicolas Sarkozy, François Fillon et Jacques Chirac se sont retrouvés côte à côte hier pour rendre hommage à Lazare Ponticelli.
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ONZE heures. Le cercueil du dernier combattant français de la Grande guerre pénètre dans l’église Saint-Louis des Invalides, porté par onze légionnaires au képi blanc et encadré de quatre pionniers barbus au large tablier de cuir, hache sur l’épaule. Ils sont du 3e régiment étranger d’infanterie, héritier du 4e régiment de marche de la Légion étrangère où avait servi Lazare Ponticelli les dix premiers mois de la guerre.
Au même moment, une minute de silence est observée dans les administrations et les drapeaux mis en berne sur les bâtiments publics.
Après avoir refusé toute cérémonie officielle, Lazare Ponticelli avait donné son accord, quelques semaines avant son décès, à des « obsèques nationales sans tapage, ni grand défilé » et accepté « une messe aux Invalides en hommage à (ses) camarades morts dans cette horreur de la guerre et auxquels (il a) promis de ne jamais les oublier ».
Sous les ors de « l’Eglise des soldats », 500 personnes suivent les obsèques religieuses, dont le président Nicolas Sarkozy et son prédécesseur Jacques Chirac, le Premier ministre François Fillon et la plupart des ministres et 200 membres de la famille du défunt, proches ou éloignés ainsi que des employés du groupe Ponticelli de métallurgie de précision.
Midi. Le cercueil est acheminé vers la cour d’honneur entre une double haie de membres de l’association « Le Poilu d’Épernay », fusil Lebel à la main, portant l’uniforme français de 1915 : casque d’acier Adrian, capote, pantalon et bandes molletières en drap bleu horizon, brodequins de cuir.
L’académicien Max Gallo exalte alors Lazare Ponticelli qui « nous rend fiers, par toute sa vie, d’être son frère humain ».
Sarkozy s’incline ensuite devant le cercueil, posé à même les pavés de la cour, alors que retentit la sonnerie aux morts.
12 h 45. La « Marche funèbre » de Chopin accompagne le pas lent et chaloupé des légionnaires qui portent le cercueil de leur « grand ancien » vers la sortie. Il sera inhumé cinq heures plus tard, dans l’intimité, dans le caveau familial du cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine.
15 h 40. Nicolas Sarkozy pénètre seul sous le Dôme des Invalides. Près du tombeau en bronze du maréchal Ferdinand Foch, généralissime des armées alliées à la fin de la Grande guerre, il dépose une gerbe devant une plaque dévoilée par deux collégiens. La plaque porte ces mots : « Alors que disparaît le dernier combattant français de la Première Guerre mondiale, la Nation témoigne sa reconnaissance envers ceux qui ont servi sous ses drapeaux en 1914-1918. La France conserve précieusement le souvenir de ceux qui restent dans l’Histoire comme les poilus de la Grande guerre ».
16 heures. Dans une longue allocution, le chef de l’État déclare : « En cet instant, dans toute la France, la pensée de chacun se tourne vers ces femmes et ces hommes qui nous ont appris la grandeur du patriotisme qui est l’amour de son pays et la détestation du nationalisme qui est la haine des autres ».
17 h 15. Fin de la cérémonie. Le chœur de l’Armée française interprète « La Madelon », le chant fétiche des poilus.
Plus de 300 personnes ont rendu un dernier hommage hier soir au Kremlin-Bicêtre, dans le Val-de-Marne, où Lazare Ponticelli résidait depuis 1925.
« Le Kremlin-Bicêtre a perdu sa figure la plus emblématique, mais surtout son citoyen le plus attachant », a dit le maire Jean-Luc Laurent, en souhaitant rendre hommage, à travers Lazare Ponticelli, à « cette génération sacrifiée pour la survie de notre Nation ». La cérémonie, semblable à celle du 11-Novembre à laquelle le dernier combattant de la Grande guerre avait encore assisté en novembre 2007, a réuni la famille du défunt, les associations d’anciens combattants, une délégation de la Légion étrangère, où il servit entre 1914 et 1915, le maire de Bettola, sa ville natale en Italie, mais aussi des collégiens et des habitants de la ville.
« Le message qu’il voulait faire passer aux enfants était pacifiste », a rappelé l’un d’eux, lisant un texte écrit par une classe de 3e du collège Jean-Perrin.
Lazare Ponticelli, Italien arrivé en France à l’âge de 9 ans, a longtemps refusé les funérailles nationales promises au dernier des poilus, les considérant comme « un affront pour les gens qui sont morts » pendant la Grande guerre, avant de revenir sur sa décision fin janvier.
« Il privilégia toujours une vie honorable aux honneurs de la vie », a rappelé le maire, en saluant la mémoire de « ce passeur de témoin entre deux mondes à jamais révolus ». La place où se dresse, au Kremlin-Bicêtre, le monument aux morts devrait être rebaptisée place Lazare-Ponticelli.
![]() Longtemps réticent, Lazare Ponticelli avait consenti peu de temps avant de s’éteindre qu’un hommage soit organisé par l’Etat, à la condition qu’il englobe expressément l’ensemble de ses camarades de combat.
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C’était le dernier d’une immense cohorte, celle des 8,5 millions de soldats français de la Grande Guerre : Lazare Ponticelli s’est éteint hier à l’âge de 110 ans au Kremlin-Bicêtre. LAZARE Ponticelli, doyen des Français et dernier légionnaire de la Grande Guerre, est décédé à 12 h 45 au domicile de sa fille, sept semaines après Louis de Cazenave, mort le 20 janvier, également à 110 ans.
Dans un communiqué, le président Nicolas Sarkozy a « exprimé la profonde émotion et l’infinie tristesse de l’ensemble de la Nation ».
Un « hommage national » sera rendu à Lazare Ponticelli et à l’ensemble de ses camarades de combat lors d’une messe aux Invalides, en présence de M. Sarkozy et de légionnaires et de soldats en uniforme de poilus, « dans les prochains jours », a annoncé le secrétaire d’Etat aux Anciens combattants Alain Marleix.
Longtemps réticent, Lazare Ponticelli avait consenti peu de temps avant de s’éteindre qu’un tel hommage soit organisé par l’Etat, à la condition qu’il englobe expressément l’ensemble de ses camarades de combat.
Avec lui disparaît le dernier combattant français de la guerre de 1914-1918, qui fit 10 millions de morts, dont 1,4 million de soldats français : paysans, employés, instituteurs, ouvriers, bretons ou auvergnats, tirailleurs marocains ou sénégalais, tués sur les coteaux de la Marne, dans les tranchées de Verdun ou du Chemin des Dames.
Lazare Ponticelli avait servi dans les rangs de la Légion étrangère de 1914 à 1915, au sein du 4e Régiment de marche du 1er étranger, unité surnommée « Légion garibaldienne » et composée exclusivement de légionnaires italiens. Engagé à l’âge de seize ans, Lazare Ponticelli s’était illustré notamment dans les combats meurtriers de la forêt d’Argonne. Avec 1,4 million de soldats « morts pour la France », la France a connu une saignée sans précédent : 900 morts en moyenne par jour durant les 51 mois de guerre, du 1er août 1914 au 11 novembre 1918, avec 20.000 tués pour la seule journée du 22 août 1914 en Lorraine. 1,4 million de morts et aussi 3 millions de blessés, dont 1 million d’invalides, amputés ou gazés et 15.000 « Gueules cassées », ces soldats défigurés qui vont rappeler durant des années ce conflit aux Français.
1,4 million de morts et aussi des centaines de milliers de veuves et d’orphelins. Des centaines de milliers de femmes qui remplacent les hommes, partis au front, dans les usines d’armement, les écoles et les hôpitaux.
1,4 million de morts et presque autant de noms inscrits sur les monuments aux morts des 36.000 communes de France, dont une quinzaine seulement n’érigèrent pas de monument car aucun soldat du village n’avait été tué. Mais aussi les mots « Tu ne tueras point » inscrits sur le monument aux morts d’Avion (Pas-de-Calais), ou « Maudite soit la guerre » sur celui de Gentioux (Creuse).
1,4 million de morts, dont des milliers de disparus ou jamais identifiés dans la boue de la Marne ou de Verdun, symbolisés par le Soldat Inconnu qui repose sous la voûte de l’Arc de Triomphe.
1,4 million de morts, la grande majorité dans la « zone rouge » allant de la Mer du Nord à la Suisse avec ces noms gravés dans l’Histoire de France : la bataille de la Marne et ses taxis (septembre 1914) ; le Bois des Caures, les forts de Douaumont et de Vaux, la « Voie Sacrée » à Verdun (février-décembre 1916) ; le Chemin des Dames (printemps 1917) et l’échec sanglant de l’offensive Nivelle suivi de mutineries. 1,4 million de morts et les 675 soldats fusillés sous l’uniforme français pour désertion, mutinerie, refus d’obéissance, ou crimes de droit commun, dont 49 au printemps 1917 au Chemin des Dames. 1,4 million de morts, dont le soldat Pierre-Auguste Trébuchon, tué sur les bords de la Meuse le 11 novembre 1918 à 10 h 50, dix minutes avant la sonnerie du cessez-le-feu à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de 1918.
« Plus jamais ça », dirent alors certains poilus.
D’autres affirmèrent que cette guerre serait « la der des der »…
« J’ai eu de la chance tout le long », avait déclaré à notre journal Marcel Savonnet, rencontré dans son pavillon de Saint-André-les-Vergers.
Doté d’une étonnante santé et d’une lucidité intacte, le vieil homme racontait volontiers sa guerre. De Verdun à Villers-Cotterêts, en passant par la Belgique et la Syrie, plusieurs fois gazé, victime du paludisme, il était resté 18 mois sous les drapeaux, successivement canonnier, pointeur, chargeur, tireur ou agent de liaison. En 43, il avait repris du service s’engageant dans le maquis de Mussy-sur-Seine. Il avait de nouveau échappé à la mort en se cachant dans les bois alors que les nazis décimaient ses camarades maquisards.
Après la guerre, il avait repris son travail de chef-teinturier dans une usine textile.
Il faut aussi cité parmi les doyens de la Grande Guerre Maurice Floquet, mort le 10 novembre 2006, qui vivait dans le Var mais qui était né à Poissons, en Haute-Marne.
Lui avait combattu dans la Somme puis en Argonne. Après deux trépanations, il avait été versé dans une usine d’armement.
Après la guerre, il avait ouvert un garage à Joinville jusqu’à sa retraite en 1952.
![]() Guy Marival (à gauche), chargé de mission au conseil général de l’Aisne, avait rencontré Lazare Ponticelli l’an passé.
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Comment étiez-vous parvenu à obtenir un rendez-vous avec M. Ponticelli ?
GUY MARIVAL : Ce n’était pas simple puisqu’il était évidemment aussi sollicité qu’un ministre. Nous étions un groupe de l’Aisne. Nous préparions le 90e anniversaire du Chemin des Dames.
Le sésame pour qu’il accepte de nous recevoir au printemps 2007 fut « Soissons ». Après quelques semaines de formation, il avait été envoyé en janvier 1915, dans l’Aisne, juste après la grande bataille de Crouy à laquelle a participé l’écrivain Henri Barbusse.
Sa première mission a été de ramasser les morts sur le champ de bataille au nord de Soissons. Ce fut son premier contact avec la guerre.
Malgré son âge, avez-vous pu avoir un véritable échange ?
G. M. : Tout à fait. Il était aveugle, un peu sourd mais très alerte. Nous lui touchions la main. Il nous parlait comme à des amis. Vous savez, c’était un Italien qui avait émigré à Nogent-sur-Marne. Il était Garibaldien. Autrement dit, il était très reconnaissant à la France d’avoir aidé à l’unité et à l’indépendance de l’Italie. C’est pourquoi il avait menti sur son âge pour s’engager.
Il poussait les autres Italiens à le faire alors que son pays était neutre à l’époque. Que prépare le département de l’Aisne pour célébrer les 90 ans de l’Armistice ?
G. M. : Nous préparons une exposition sur la Grosse Bertha intitulée « 1918, feu sur Paris », qui sera visible dans le hall de la Caverne du Dragon, au Chemin des Dames, à partir de mai.
Les premiers obus de ce canon allemand ont été tirés de Crépy, au nord de Laon. L’un d’eux, le 29 mars, en plein office du vendredi saint, s’est abattu sur l’église de Saint-Gervais, tuant 90 personnes. Nous allons également éditer une publication. Et puis il y aura deux temps forts.
Le premier sera une veillée-spectacle, sur la Butte-Chalmont, près d’Oulchy-le-Château, où est élevé un monument sculpté par Landowski (l’auteur du Corcovado de Rio). Lors du 50e anniversaire, De Gaulle était venu se recueillir devant ce superbe monument.
Le second se déroulera à la Villa Pasques à La Capelle. L’endroit où les officiers allemands ont franchi les lignes avant d’être conduits de Tergnier jusqu’à Compiègne par le train pour signer l’Armistice. Les relations franco-allemandes seront le thème de l’exposition. Toutes les communes et les écoles qui ont des échanges avec l’Allemagne sont invitées à un grand rassemblement.
![]() Membre de l’association gestionnaire du musée, Gervais Cadario reçoit à la Pompelle un public de plus en plus jeune et passionné.
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Donc, lorsqu’ils re trouvent chez eux des médailles ou des objets ayant appartenu à leur grand-père, ils veulent en savoir plus et viennent nous voir », explique Gervais Cadario, un ancien militaire passionné d’histoire, membre de l’association gestionnaire du musée.
Le nouveau public est particulièrement jeune. Il vient des écoles primaires et des collèges où l’on enseigne la Première Guerre mondiale en cours d’histoire. « La Grande Guerre les fait un peu fantasmer. Puisqu’il y a eu un poilu dans pratiquement chaque famille, ils ont l’impression d’appartenir à l’Histoire avec un grand H et veulent se la réapproprier », analyse Marc Bouxin, conservateur du musée.
Ce n’est pas la pourtant remarquable collection de casques allemands qui attire les foules au Fort de la Pompelle. « Les gens veulent connaître avant tout le quotidien des poilus, la façon dont ils ont pu vivre pendant quatre ans dans les tranchées », fait savoir M. Cadario. Cet intérêt pour le vécu de la guerre a été accompagné par le cinéma avec les sorties ces dernières années de films tels « Joyeux Noël », « Un long dimanche de fiançailles » ou « La vie et rien d’autre ».
« Auparavant l’une des principales références cinématographiques était l’adaptation des Croix de Bois de Dorgelès, sortie entre les deux guerres », note M. Cadario. Ce dernier estime toutefois que l’on a tendu le micro un peu tard aux poilus. « On s’est un peu trop occupé dans un premier temps des chefs de guerre. On a laissé s’échapper une partie de l’histoire orale. »
Même Marc Bouxin « regrette amèrement » ne pas avoir suffisamment sollicité la mémoire de son propre grand-père, en son temps. C’est bel et bien fini, la Der des Der on ne vous la racontera plus, vous la lirez.
En Champagne-Ardenne, les sites de mémoire attirent environ 100.000 visiteurs par an : près de 17.000 au Mémorial de la bataille de la Marne à Dormans, 14.000 au musée Guerre et paix en Ardennes (Novion-Porcien), 13.000 au Fort de la Pompelle près de Reims, 13.000 au monument national de Mondement (Marne), 3.600 au monument et ossuaire de Navarin (Marne). L’un des sites les plus émouvants de la région — les cinq villages détruits du camp militaire de Suippe — ne sont hélas visitables qu’une fois tous les deux ans, à l’occasion des journées du patrimoine.
Christiane Cambeur, 85 ans, est « émue, bouleversée » à l’annonce de la disparition du dernier poilu. Ployart, le village familial, a été « massacré pendant la guerre ». Elle se souvient de longue veillée où l’on parlait, évidemment, que de la guerre : « Il n’y avait pas d’électricité. Autour de la cuisinière à bois, les prisonniers évoquaient leurs conditions de détention. Les soldats, leurs combats. La guerre était chez nous omniprésente, même quand ce n’était pas la mode. La parole des anciens est essentielle dans la transmission de notre histoire. La disparition du dernier poilu m’inquiète. Qui va transmettre cette mémoire ? »
Une fois maire, Christian Cambeur avait décidé en 2000 d’inaugurer un monument où trois civils et cinq soldats de la commune étaient unis dans un même hommage. Dès son adolescence, elle s’était jurée de réparer une injustice : celle qui faisait oublier les victimes civiles dans ce coin de l’Aisne, si durement éprouvée par l’occupation allemande.
La romancière rémoise Gisèle Bienne a consacré son dernier livre, « la Ferme de Navarin » (Gallimard) à la guerre du poète Blaise Cendrars en Champagne : « Cette disparition me rappelle tous ces grands-pères, ces arrière-grands-pères qui sont partis. Tant qu’on en avait un au-dessus de nos têtes, on les avait tous. Nous étions reliés à la Grande Guerre par les hommes, leur corps, leur chair. La mort du dernier poilu la fait basculer définitivement dans l’Histoire. Je me souviens aussi de ces deux vieillards que je croisais, enfant, dans mon village natal de Chavanges dans l’Aube. L’un était manchot, comme Cendrars, l’autre avait une jambe de bois. Ce sont des images qu’on n’oublie pas. Je doute que l’entrée au Panthéon de Lazare Ponticelli soit une bonne idée. Ce serait insulter la mémoire de ceux qui se sont révoltés contre cette guerre et l’ont payé cher. En entrant au Panthéon, il entraînerait les autres. Mais leur a-t-on demandé leur avis ? »
Jean Cartier a publié en 1993 un ouvrage photographique consacré aux « Traces de la Grande Guerre » dans les paysages de l’est de la France. Il avait, à cette occasion, rencontré plusieurs poilus : « L’homme Lazare Ponticelli inspire tout le respect possible. Désormais, il n’y a plus que les historiens pour se renseigner sur cette guerre. Mais cette mort-là ne m’émeut pas plus que les autres. Des morts, il y en a tellement eu. Je me souviens de ce que m’avait dit un poilu quand Mitterrand avait décerné la Légion d‘honneur à tous les survivants. Il parlait d’une prime à la longévité. Panthéoniser Lazare Ponticelli serait lui accorder, malgré lui, une prime à la médiatisation. Il se trouve que la loterie de la vie a voulu qu’il meure le dernier, voilà tout. L’ironie serait qu’il existe, quelque part, un autre survivant de cette époque, un Maghrébin par exemple qui ne se montre pas et préfère rester caché. »
Denis Rolland est président de la société historique de Soissons. Il a rencontré deux fois Lazare Ponticelli : « Ce qui me frappait, c’était déjà son âge et sa mémoire. On était plongé dans un autre monde. Son parcours était incroyable, notamment avant la guerre, quand il ramonait des cheminées avec l’espoir, dès son adolescence, de créer son entreprise. »
« Ecouter le dernier témoin de la guerre est intéressant même s’il combattra la majeure partie de son temps pour l’Italie. Après Crouy, il est envoyé au Chemin des Dames puis en Argonne. Dans le courant 15, après l’entrée en guerre de l’Italie, il est mobilisable là-bas. Il veut continuer à combattre dans l’armée française mais il est considéré comme déserteur en Italie et deux gendarmes l’emmènent manu militari. Il combattra alors sous uniforme italien sur le front autrichien avant de revenir en France en 21. C’est un symbole qui disparaît. Plus cette guerre s’éloigne, plus elle est incompréhensible. »
C’était le dernier d’une immense cohorte, celle des 8,5 millions de soldats français de la Grande guerre : Lazare Ponticelli, dernier poilu survivant de l’un des conflits les plus meurtriers de l’Histoire, s’est éteint mercredi à l’âge de 110 ans au Kremlin-Bicêtre.
Lazare Ponticelli, dernier légionnaire de la Grande guerre, est décédé à 12h45 au domicile de sa fille, sept semaines après Louis de Cazenave, mort le 20 janvier, également à 110 ans. Dans un communiqué, le président Nicolas Sarkozy a "exprimé la profonde émotion et l’infinie tristesse de l’ensemble de la Nation".
Un "hommage national" sera rendu à Lazare Ponticelli et à l’ensemble de ses camarades de combat lors d’une messe aux Invalides, en présence de légionnaires et de soldats en uniforme de poilus, à une date non précisée, a annoncé le secrétaire d’Etat aux anciens combattants Alain Marleix.
Longtemps réticent, Lazare Ponticelli avait consenti peu de temps avant de s’éteindre qu’un tel hommage soit organisé par l’Etat, à la condition qu’il englobe expressément l’ensemble de ses camarades de combat.
Il ne resterait désormais dans le monde que huit survivants de la Première guerre mondiale ayant réellement combattu, selon le recensement effectué par Frédéric Mathieu, concepteur du site spécialisé Derdesders.
Avec Lazare Ponticelli disparaît le dernier combattant en France de la guerre de 1914-1918, qui fit 10 millions de morts, dont 1,4 million de soldats français : paysans, employés, instituteurs, ouvriers, bretons ou auvergnats, tirailleurs marocains ou sénégalais, tués sur les coteaux de la Marne, dans les tranchées de Verdun ou du Chemin des Dames.
Avec 1,4 million de soldats "morts pour la France", la France a connu une saignée sans précédent : 900 morts en moyenne par jour durant les 51 mois de guerre, du 1er août 1914 au 11 novembre 1918, avec 20.000 tués pour la seule journée du 22 août 1914 en Lorraine. 1,4 million de morts et aussi 3 millions de blessés, dont 1 million d’invalides, amputés ou gazés et 15.000 "Gueules cassées", ces soldats défigurés qui vont rappeler durant des années ce conflit aux Français.
1,4 million de morts et aussi des centaines de milliers de veuves et d’orphelins. Des centaines de milliers de femmes qui remplacent les hommes, partis au front, dans les usines d’armement, les écoles et les hôpitaux.
1,4 million de morts et presque autant de noms inscrits sur les monuments aux morts des 36.000 communes de France, dont une quinzaine seulement n’érigèrent pas de monument car aucun soldat du village n’avait été tué. Mais aussi les mots "Tu ne tueras point" inscrits sur le monument aux morts d’Avion (Pas-de-Calais), ou "Maudite soit la guerre" sur celui de Gentioux (Creuse).
1,4 million de morts, dont des milliers de disparus ou jamais identifiés dans la boue de la Marne ou de Verdun, symbolisés par le Soldat Inconnu qui repose sous la voûte de l’Arc de Triomphe.
1,4 million de morts, la grande majorité dans la "zone rouge" allant de la Mer du Nord à la Suisse avec ces noms gravés dans l’Histoire de France : la bataille de la Marne et ses taxis (septembre 1914) ; le Bois des Caures, les forts de Douaumont et de Vaux, la "Voie Sacrée" à Verdun (février-décembre 1916) ; le Chemin des Dames (printemps 1917) et l’échec sanglant de l’offensive Nivelle suivis de mutineries.
1,4 million de morts et les 675 soldats fusillés sous l’uniforme français pour désertion, mutinerie, refus d’obéissance, ou crimes de droit commun, dont 49 au printemps 1917 au Chemin des Dames.
1,4 million de morts, dont le soldat Pierre-Auguste Trébuchon, tué sur les bords de la Meuse le 11 novembre 1918 à 10h50, dix minutes avant la sonnerie du cessez-le-feu à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de 1918.
"Plus jamais ça", dirent alors certains poilus. D’autres affirmèrent que cette guerre serait "la der des ders"…
Le président de la République assistera à cette cérémonie dont la date n’est pas encore fixée, a-t-on indiqué à l’Elysée.
Le secrétaire d’Etat aux Anciens combattants Alain Marleix se rendra pour sa part dès mercredi 18H00 au Kremlin-Bicêtre (Val-de Marne) où Lazare Ponticelli est décédé afin de s’incliner sur sa dépouille, a-t-on appris auprès de ses services.
L’hommage national sera célébré "en présence des plus hautes autorités de l’Etat" mais aussi de la Légion étrangère, à laquelle avait appartenu Lazare Ponticelli, et de soldats vêtus d’uniformes de poilus", a déclaré M. Marleix.
"Il tenait beaucoup à la présence de légionnaires et souhaitait qu’à travers lui, cet hommage national soit rendu à l’ensemble des combattants de la Première guerre mondiale", a-t-il souligné.
Hervé Chabaud