Civisme et Mémoire
Grand succès pour l’ARAC, avec plus de mille participants et cent drapeaux venus du Vimeu, de Ile-de-France, de Picardie pour ce grand rendez-vous annuel qui faisait étape cette année au Tréport, en Seine-Maritime.
Le maire du Tréport, Alain Longuent, en accueillant le rassemblement après avoir présenté sa commune et son patrimoine, a souligné le lien entre la période de luttes et de grandes conquêtes du Front populaire et la lutte récente sans précédent des jeunes, des salariés, des retraités, des chômeurs contre le CPE et l’espoir qu’elle suscite.
André Fillère, vice-président de l’ARAC, a insisté dans son discours sur le rôle irremplaçable de « passeurs de mémoire vivante » des militants et militantes de l’ARAC, puis a présenté le 90e anniversaire de 1916 avec notamment la création de l’Office national des anciens combattants, le prix Goncourt de littérature au « Feu » de Barbusse, le 70e anniversaire du Front populaire, l’apport des Brigades internationales dans le premier acte de la Seconde Guerre mondiale, au sein desquelles, le bataillon « Henri Barbusse ».
Il a insisté ensuite sur « l’utilité de la vigilance face aux résurgences néo-fascisantes auxquelles on assiste actuellement tels le retour officiel de l’esprit colonialiste avec la loi du 23 février 2005 et sa volonté d’occulter le 19 mars 1962, seule date historique de cessez-le-feu officiel en Algérie ». Enfin, il a exprimé toute la solidarité active de l’ARAC avec la jeunesse, le partage « de leur rage devant tant d’espoirs trahis », et a expliqué que « notre parcours de mémoire permet de tirer les certitudes qu’il faut définir ensemble dans l’union la plus large possible des perspectives pour demain »… André Fillère a conclu « sur le fait que l’ARAC, forte des valeurs de son patrimoine républicain, s’affirme l’héritière de tous ceux qui, de 1917 date de sa création jusqu’à aujourd’hui, ont fait vivre l’association et en ont été la flamme ardente… »
La cérémonie s’est poursuivie par la lecture de poèmes sur la Résistance par Benoît Delepine, 11 ans, maire du conseil municipal des jeunes du Tréport, le dépôt des gerbes et un lâcher de ballons multicolores par des enfants et des anciens combattants locaux.
Allocution d’André Fillère(extraits)
Ainsi, s’agissant du 90e anniversaire de 1916, outre la bataille de Verdun et celle de la Somme, la commémoration officielle repose sur la création de l’ONAC. Qui pourrait être contre, sachant tout l’intérêt que nous attachons à l’ONAC et notre volonté d’agir pour en préserver l’existence ?
1916, la France est en guerre depuis deux ans.
Imprévu, le nombre de blessés, de mutilés, d’invalides, de veuves et d’orphelins se multiplie sans arrêt.
Il faut, pour ne pas les laisser à l’abandon, créer les premières écoles de rééducations professionnelles de l’ONAC en 1915, créer le premier Office national des amputés et réformés de guerre en 1916, puis l’Office national des orphelins de guerre en 1917.
« Mémoire et solidarité » devient la devise de l’ONAC, et naît ainsi « le bleuet de France ». (…) Est-ce un hasard si le 70e anniversaire de 1936, du Font populaire ne semble pas devoir être célébré officiellement avec l’importance que revêt cette période, de notre histoire ? Dans notre histoire ? En 2006, alors que sévit le chômage, qu’est remise en cause la semaine de 35 heures, qu’officiellement il y a 1 000 pauvres de plus par jour en France, que les jeunes doivent mener les luttes que l’on sait, et que soutient l’ARAC, pour leur droit à l’enseignement, au travail, à la vie, à la dignité et à la santé… Ceux qui nous gouvernent ont-ils intérêt à rappeler le Front populaire et les accords de Matignon des 7 et 8 juin 1936 qui permirent, sous la pression de 2 millions de grévistes :
- la création des congés payés, 600 000 ouvriers partiront en vacances pour la première fois,
- la semaine de 40 heures,
- les billets annuels SNCF de congés payés, 907 000 en profiteront en 1937,
- les conventions collectives, le droit syndical,
- les hausses de salaires : 12 % en moyenne !,
- les nationalisations, dont la SNCF, l’ aéronautique… en 1937,
- les allocations chômage.
Et, pour les anciens combattants et victimes de guerre que nous sommes, l’abrogation des décrets scélérats pris par le gouvernement Laval en 1934, le rétablissement de la retraite du combattant (qui avait été supprimée) et l’augmentation des pensions militaires d’ invalidité.
Ont-ils intérêt, en 2006, les gouvernants à rappeler tout cela ? D’autant que le Front populaire, ce n’est pas seulement cela.
C’est aussi un changement, à travers la pratique des luttes antifascistes, sociales et politiques. L’individualisme recule au profit de l’action collective ; la certitude que la solution de la crise passe par l’action collective devient une réalité.
La collectivité prend les individus en charge, et elle exige que l’État en fasse autant. Une véritable culture de solidarité naît et se développe, brisant les carcans dans lesquels les tenants du pouvoir veulent enfermer le peuple. (…)
Mais aujourd’hui, en 2006, ce ne sont pas des exemples à agiter pour ceux qui, comme Laurence Parisot, la nouvelle présidente du MEDEF, estiment que « puisque la vie est précaire, l’amour est précaire, le logement est précaire, pourquoi le droit au travail ne serait-il pas précaire ? » Et de prédire bien sûr, les pires tourments à cette France des jeunes et des anciens qui veulent lutter ensemble et changer la vie ! Quelle honte ! Est-elle si loin, la présidente du MEDEF en 2006, de cette Fédération des industries dénonçant dans la presse en 1936 : « le début d’une catastrophe économique sans précédent pour la France. Les congés payés feront plus de dégâts à l’industrie et à l’artisanat que les destructions de la guerre de 14-18. Dans trois ans, la France sera ruinée ».
Cela ne vous rappelle-t-il pas les attaques menées récemment par le même MEDEF et la majorité gouvernementale contre les 35 heures accusées, par eux, de ruiner l’économie française ?
Décidément, on retrouve tou jours les mêmes ou leurs héritiers, contre l’intérêt des salariés et celui de la France.
(…) Ils furent ainsi 35 000 étrangers à « se lever avant le jour », conscients qu’en « défendant Madrid, ils défendaient aussi Paris », tant se jouait en Espagne, à leurs yeux, le premier acte de la Seconde Guerre mondiale. Le peuple espagnol les considère comme ses frères et fait de ces hommes et de ces femmes clairvoyants, progressistes et solidaires, les héros d’une épopée de notre temps ; des héros envers lesquels les Espagnols conservent une reconnaissance et un respect affectueux.
« Gracias, hermanos », leur ont-ils crié en 36, en 38, et aujourd’hui encore. Comme ils conservent, envers le peuple français, une reconnaissance inaltérable pour l’ampleur de sa solidarité durant la guerre d’Espagne, pour toutes ces collectes de lait, de vêtements, de médicaments, acheminés clandestinement par-delà la frontière.
On sait l’issue des combats, malgré l’apport des Brigades internationales, au sein desquelles le Bataillon Henri Barbusse et l’appui héroïque de guérilleros, tel Rol Tanguy et beaucoup d’autres, qui, à leur retour, apportèrent tant à la Résistance française contre l’oppresseur nazi. Dès lors, la Seconde Guerre mondiale pouvait commencer, mettant en oeuvre, directement par les armes, la volonté capitaliste d’organiser le monde en fonction de ses propres avantages financiers, et non de l’intérêt des peuples. (…)
Car, si Barbusse pouvait déclarer en 1919 que « les jeunes travailleurs sont les premiers sacrifiés aux conflits internationaux », c’est aujourd’hui la jeunesse tout entière qui est sacrifiée par la guerre économique et psychologique que mènent les oligarchies financières internationales contre les peuples.
C’est pour changer cela que nous sommes réunis ici, aujourd’hui ; que nous agissons et que nous continuerons d’agir dans nos sections et dans nos départements. Parce que nous sommes des hommes et des femmes ayant au coeur de fortes valeurs de solidarité, de justice sociale, de progrès et de paix, des hommes et des femmes que leurs émotions et leur révolte continuent de bouleverser, dont les yeux savent encore verser des larmes face à la misère, et les poings se serrer de révolte. Alors, oui, avec. la jeunesse, nous avons la rage !
Nous avons la rage de voir toutes ces vies sacrifiées !
Nous avons la rage de voir tous ces espoirs trahis !
Nous avons la rage de voir détruire notre pays, ses usines, ses productions agricoles, son Éducation nationale, ses universités, ses hôpitaux, sa recherche, son devenir remis ainsi systématiquement en cause ! Mais notre rage n’est pas aveugle.
Elle monte de nos racines, et se nourrit de nos valeurs humanismes, de notre expérience tirée des chemins de notre mémoire, de la symbolique des valeurs de l’histoire de l’ARAC, du patrimoine national de notre pays, et des idéaux de la Résistance.
Nous sommes des passeurs de mémoire. Et de notre parcours de mémoire, nous tirons les certitudes qu’il faut définir ensemble, dans l’union la plus large possible, des perspectives pour demain. (…)
Et notre potentiel est encore conséquent, si chacun de nous, dans sa ville, dans sa commune, quitte le « prestige » de l’Ancien pour redevenir le combattant, à l’image de Barbusse et des fondateurs de l’ARAC, à l’image des bâtisseurs du Front populaire, à l’image de la Résistance unie autour du programme de son Conseil national. (…)
C’est pourquoi ici, aujourd’hui, l’ARAC tout entière réaffirme à toutes et à tous, aux plus jeunes comme aux plus anciens, sa volonté d’amplifier son action pour la paix, la coopération, la justice sociale, la solidarité entre les hommes et les peuples. Et elle les invite à oeuvrer avec elle. Unis dans le présent et pour l’avenir afin que notre pays redevienne enfin la patriede la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Vous pouvez lire l’intégralité de cette intervention dans le Bulletin d’Information du mois de mai 2006.2 € le numéro ou 16 € l’abonnement annuel.